Par Anne Geig
Nos études nous le prouvent sans cesse : dans le e-commerce, le moment de la livraison est devenu un moment de vérité du parcours client, et les marques ont tout à gagner à soigner ce point de contact.
La livraison, moment clé du parcours client
L’un des enseignements de la vague 2017 de notre étude sur l’enchantement client est l’importance croissante que prend le moment de la livraison dans le parcours client. Ce phénomène s’explique par plusieurs raisons.
1. Le boom du e-commerce
Tout d’abord, cela tient à la part croissante du e-commerce dans le commerce d’aujourd’hui. La croissance du e-commerce ne décroche pas et ce mode d’achat s’impose dans la vie des consommateurs. La courbe ci-dessous issue d’une étude de la Fevad parle d’elle-même.
L’avènement du commerce omnicanal accentue encore le phénomène : désormais, la livraison à domicile n’est plus réservée aux achats en ligne mais peut être consécutive à une visite en magasin. Les modes de livraisons (domicile, point relais, magasin…) sont de plus en plus variés. Ainsi, si la livraison est devenue un point de contact clé dans l’expérience client, c’est tout simplement parce que, de l’habillement à l’alimentaire en passant par le mobilier, nous nous faisons de plus en plus livrer nos achats !
2. La concrétisation de l’acte d’achat
L’autre caractéristique de la livraison, c’est qu’elle vient concrétiser l’acte d’achat, elle transforme un achat virtuel en réalité concrète.
En effet, lorsque je réalise un achat en magasin, le choix du produit, le paiement et la délivrance du bien se font dans une unité de temps et de lieu. Je peux voir, toucher, essayer le produit avant de l’acheter, et une fois l’achat finalisé, je peux en jouir immédiatement.
La vente à distance, elle, se base sur une jouissance différée , et sur la confiance : jouissance différée, car je dois attendre souvent plusieurs jours avant de profiter de mon achat, alors même que j’ai avancé l’argent. Confiance, car je donne mon argent et mes coordonnées à un commerçant, sans avoir la certitude absolue que je recevrai mon produit, et qu’il répondra à mon attente.
Ainsi, la livraison après un achat à distance, c’est le moment où enfin, l’acte d’achat se concrétise : c’est pourquoi ouvrir un colis est souvent associé à un moment d’excitation. Recevoir son achat en ligne, c’est un peu recevoir un cadeau que l’on se fait à soi-même, c’est un moment propice à l’enchantement.
3. Un moment relationnel
La troisième caractéristique de la livraison, c’est qu’elle intègre souvent une dimension relationnelle. Bien sûr, ce n’est pas le cas lorsque le colis est livré dans votre boîte aux lettres. Mais dans tous les cas où il y a remise en main propre, le rôle du livreur devient essentiel pour faire de la livraison un moment d’enchantement. Il suffit d’un livreur en retard, impoli, ou négligent pour faire de la livraison un moment catastrophique.
Et pourtant, la livraison est un moment sous-exploité
Vous l’aurez compris, les marques ont tout intérêt à soigner le moment de la livraison. Et pourtant, de nombreuses marques aujourd’hui négligent cette étape. On observe souvent un creux dans le Parcours Client au moment de la livraison. Celle-ci étant en général sous-traitée, il y a une rupture dans l’expérience de la Marque.
Nous observons fréquemment ce déficit dans les Parcours Clients que nous analysons, et nous l’avons aussi observé dans la dernière version de notre étude sur l’Enchantement Client (une étude basée sur les témoignages de 1100 consommateurs représentatifs, relatant leur meilleure et leur pire expérience client, tous secteurs confondus).
Le Tracker© de l’expérience client réalisé à partir de cette étude (téléchargeable ici) nous permet immédiatement de le constater : la satisfaction moyenne des consommateurs vis à vis de l’expérience de livraison est relativement peu élevée. Elle est même négative (client insatisfait) sur le thème de l’attitude du livreur.
Ce Tracker© nous apprend autre chose : parmi les “moments” de l’expérience de livraison, c’est la relation avec le livreur qui a le plus important potentiel d’enchantement ! Autrement dit : le client a plus de chance d’être enchanté par un livreur aimable, ayant la bonne posture relationnelle et les bons réflexes, que par une livraison ultra-rapide. De quoi bousculer les a priori de nombreux acteurs du e-commerce.
Plutôt que de chercher à livrer toujours plus vite, il serait souvent plus rentable de chercher à livrer mieux.
2 bonnes pratiques pour enchanter le moment de la livraison
Pour exploiter au mieux le potentiel d’enchantement de la livraison, il suffit d’écouter les consommateurs eux-mêmes.
1. Soigner l’emballage des produits
Nous décrivions déjà cette bonne pratique dans un article de notre blog en 2013, mais le phénomène se maintient : le soin apporté au paquet est un facteur d’enchantement indéniable.
“J’ai été agréablement surpris de l’envoi qui m’était destiné : toutes les affaires commandées étaient soigneusement pliées et déposées dans des sacs en coton. Il y avait également bon nombre de surprises et cadeaux.”
Verbatim issu de l’étude « Enchantement client 2017 »
Une jolie boîte, du papier de soie, un petit mot manuscrit signé de la main du préparateur de la commande, une senteur qui se dégage du paquet, des échantillons de produits ou petits cadeaux : voilà le genre d’attentions qui subliment le moment de l’ouverture du colis.
A l’inverse, un colis négligé ou abîmé va à coup sûr créer du mécontentement. Il est interprété comme un manque d’attention porté au client puisque c’est son objet que l’on emballe, un objet qu’il a déjà payé. Sans parler du risque de casse induit par une mauvaise préparation du colis. Vêtements qui arrivent froissés, traces de doigts sur l’objet, absence de calage et produit qui se ‘balade’ dans la boîte… même si le produit n’est pas à proprement parler détérioré, le manque de soin est noté et envoie un signal plus que négatif.
Pour certains produits, plus techniques, par exemple du petit électroménager, rien que le fait d’imaginer qu’un produit mal calé a pu se balader pendant le transport, ‘cogner’ contre les parois du suremballage, crée des inquiétudes chez les clients sur le caractère intact de leur produit. Qui leur dit que l’aspirateur reçu, apparemment en bon état mais mal protégé dans son emballage, n’a pas subi un choc qui va l’empêcher de fonctionner correctement dans 3 mois ? Les clients sont extrêmement sensibles à tous les signaux de protection de leur article.
“Le flacon se “baladait” dans la boîte “cadeau” trop grande et sans calage… Ce boîtage cadeau n’était pas très propre (traces de semelles de chaussures) et enfin aucun échantillon n’était joint !”
Verbatim issu de l’étude « Enchantement client 2017 »
Pourtant, le soin porté à l’emballage est justement le moyen de poursuivre l’expérience de la Marque après l’expérience d’achat, de se réapproprier ce moment que la Marque ne contrôle pas si elle le sous-traite.
Apple en a fait à la fois un art et une science.
La bonne pratique
C’est du côté des e-shops indépendants que l’on trouve le plus d’attention portée à l’emballage des colis. A tel point que cela se partage sur les réseaux sociaux. La notion de cadeau est parfaitement intégrée. Les paquets sont soignés, attentionnés, généreux (des petits gestes en plus). Quelques exemples qui nous viennent directement des consommateurs :
2. Des livreurs irréprochables
L’attitude du livreur est un point délicat puisque la livraison est une prestation que les marques sous-traitent le plus souvent. Il est donc capital pour elles de bien choisir leurs prestataires, de peser sur la qualité de leurs prestations, et de surveiller de près les feedbacks des clients.
Le comportement des livreurs est évalué par les clients sur des critères précis : respect des horaires, politesse, vérification de l’identité de la personne réceptionnant le colis, soin apporté aux manipulations… Et la question du soin est encore plus vraie quand le livreur joue également le rôle d’installateur, où son attitude à l’intérieur du domicile a encore plus d‘importance : ne pas salir les tapis avec des chaussures sales, ne pas laisser de traces sur les murs quand les couloirs sont étroits, et savoir démontrer son attention à la sécurité (attention à la casse de matériel, à la mise en danger d’autrui…).
« Ils ont respecté la date et l’heure de livraison, ils ont déballé et repris les cartons vides et ont respecté ma maison, ils se sont bien essuyé les pieds avant d’entrer car il pleuvait ce jour là, et ils m’ont expliqué comment ouvrir mon canapé avant de repartir. »
Verbatim issu de l’étude « Enchantement client 2017 »
La bonne pratique
Les livreurs-installateurs de Pirch (USA), dénommés “Care and Installation advisors”, qui sont des salariés de l’entreprise et non pas des sous-traitants, et dont l’équipement inclut des chaussons de protection.
Se réapproprier le moment de la livraison
Sur cette étape clé de la livraison, la difficulté réside dans le fait que les livreurs ne sont pas formés, ni ‘incentivés’, sur leurs qualités relationnelles et leurs prestations face au client. Les consignes de bonnes pratiques sont très peu respectées. Les livreurs n’ont pas grand intérêt à les suivre.
La clé de la satisfaction pour les Marques réside dans leur capacité à se réapproprier ce moment en jouant dans un premier temps sur ce qu’elles contrôlent, notamment l’emballage, et ensuite à peser sur la qualité de prestation des transporteurs. Les avis de leurs clients ont un rôle à jouer dans ce domaine.
Enfin, nombre de prestations et d’attentions peuvent améliorer et enrichir le moment de la livraison. En voici deux exemples :
- La facilité de suivi et la joignabilité des livreurs, qui doivent éviter aux clients d’attendre une livraison, coincés chez eux pendant un créneau de plusieurs heures, sans information, sans visibilité. À ce titre, le suivi en “live” des livreurs massivement imposé par les acteurs de la livraison de repas (Uber Eats, Deliveroo, et autre Frichti) est devenu un nouveau standard, qui élève le niveau d’attente des consommateurs dans toutes leurs expériences de livraison.
- La facilitation des retours : le livreur peut avoir un rôle à jouer pour faciliter les retours, en cas de produit défectueux ou non conforme, s’il attend l’ouverture du paquet face au client et repart avec l’article à retourner. JeansOnLine, un site néerlandais de vente en ligne de jeans offre un service “Easy Fit & Return”, où le livreur propose au client d’attendre à sa porte pendant qu’il essaye son jean. S’il ne convient pas, le livreur reprend l’article et le client n’a rien à faire. Le process d’échange ou de remboursement est lancé automatiquement, ce qui simplifie grandement, pour le client mais aussi pour le vendeur, le process de retour.
Nous le voyons, les clients sont extrêmement sensibles à la qualité de service délivrée à cette étape du Parcours Client. C’en est même un sujet de conversation.
Ce sont des expériences qu’ils vivent très fréquemment, pour lesquelles les comparaisons d’un marchand à l’autre sont très faciles à faire, et où même les tout petits marchands peuvent faire bouger les standards.
C’est un moment qui a été envisagé essentiellement sous l’angle de la facilité, de la fluidité, notamment via l’hyperréactivité des envois, jusqu’à la livraison en 2 heures proposée par Amazon Prime. Pourtant bien d’autres attentes sont en jeu, avec de vraies opportunités de différenciation et d’enchantement.
Enfin, c’est un moment qui ne doit pas échapper aux marques sous prétexte qu’il est souvent sous-traité. Les clients attendent de poursuivre leur expérience d’achat, leur expérience de Marque, lorsqu’ils reçoivent et ouvrent leur paquet.